Ces images relèvent-elles seulement d'un imaginaire profane, qui ne dirait rien de la réalité de nos disciplines ? L'étonnante confusion entre pratiquants d'arts martiaux et super-héros qui s'y illustre pourrait évidemment en être l'indice.
À l'inverse, ces images indiquent-elles de façon hyperbolique, exagérée mais révélatrice, la réalité d'une recherche ? La finalité ultime, fut-elle fantasmée, des arts martiaux est-elle de l'ordre de l'affirmation de la puissance ?
On le voit, ces questions engagent la perception de nos disciplines par le grand public, et la façon dont nous acceptons, ou non, de la nourrir. Elles engagent également leurs identités, et la façon dont les pratiquants eux-mêmes peuvent s'y rapporter.
De façon plus déterminante pour nous, ces questions, qui peuvent concerner toutes les pratiques martiales, se posent de façon particulièrement intéressante dans le contexte de l'Aikido, au croisement de plusieurs spécificités.
De la force en Aikido ?
Premièrement, il faut souligner que l'Aikido occupe peu de place dans l'espace médiatique. Il reste mal connu du grand public, qui peine à l'identifier clairement et continue de le confondre avec d'autres pratiques (Kendo, Tae-kwon-do...).
L'absence quasi totale de références culturelles consensuelles (littéraires, cinématographiques, médiatiques...) est certainement en cela déterminante. Il ne faut pas ignorer, non plus, la part d'incompréhensions du côté de ceux qui assistent à des démonstrations et ne comprennent pas toujours le sens de nos situations de travail (« pourquoi lui attrape-t-il la main ? » , « pourquoi attaque-t-il comme ça ? », « pourquoi se laisse-t-il faire ? »).
Deuxièmement, l'histoire de la discipline elle-même soulève immanquablement la question de la force physique et de ses corrélats (invincibilité, efficacité guerrière...).
Les biographies d'O Sensei dont nous disposons ne relatent-elles pas, en effet, l'histoire du frêle garçon qui se transforme en homme aux capacités physiques incroyables ? Ne font-elles pas état des prodiges herculéens dont il était capable, de sa force colossale ? Elles insistent, aussi, sur le lien qui existe entre l'entraînement physique et l'itinéraire de Budoka du fondateur et font de la recherche conjointe de la puissance physique et de la capacité à défendre les siens un point de départ.
Mais, justement, l'histoire de l'Aikido est aussi l'histoire d'une prise de distance progressive avec la question de l'efficacité guerrière et d'une affirmation grandissante de la recherche de la paix et de l'harmonie. Le point de départ, si constitutif soit-il, ne peut en cela être confondu ni avec une finalité, ni même avec une condition nécessaire.
Une autre puissance
Maître Tamura fut Uchi deshi d'O Sensei et de l'Aikikai durant la période après-guerre. Arrivé au Hombu dojo en 1953, il ne le quitta qu'en 1964, soit cinq années seulement avant la disparition de Morihei Ueshiba. On peut donc considérer qu'il a appris auprès du fondateur un Aikido « de la maturité ».
« Vous pouvez pratiquer l’Aikido si vous pouvez soulever trois onces de son », affirmait maître Tamura « Cela revient à dire que l’Aikido n’est pas un art de combat corps à corps, fondé sur l’utilisation de la force physique et musculaire » . Pour rappel, trois onces de son représentent environ cent grammes. C'est dire si la question de la force semble devoir être évacuée de la recherche qui constitue le cœur de l'Aikido.
Mais attention au contresens : cet abandon de la recherche de force ne concerne que la force physique, musculaire. « Le travail de la technique en Aikido, se fait en utilisant pleinement l’énergie mentale et rationnellement la force physique. [...] Si l’on utilise cette méthode, il est possible de développer une force supérieure à celle que l’on croit posséder », poursuivait ainsi maître Tamura, indiquant bien que l'ambition de l'Aikido est de découvrir une forme de puissance véritable, supérieure, dégagée de la contingence de la force musculaire.
Cette puissance correspond à Kokyu Ryoku, le « souffle énergie » ou « la puissance de la respiration », aussi maladroites soient ces traductions.
Relâchement
De façon intéressante, il semble que le relâchement constitue une première étape pour atteindre ou développer cette puissance véritable. Maître Tamura développait fréquemment ce thème, notamment au cours de ses stages, et de nombreuses captations vidéos permettent de l'observer en train d'illustrer la nécessité de « ne pas forcer ».
Mais ce relâchement ne saurait être simplement physique, au sens d'une absence d'utilisation des muscles, comme l'explicite bien Jacques Bardet Shihan : « le mot détente fait penser au relâchement physique mais […] il s'agit de beaucoup plus que cela. […] il s'agit d'une attitude générale à développer, une façon d'aborder la discipline martiale, de faire face à une adversaire. […] Le mot détente renvoie à la réceptivité, à un geste non perceptible par l'adversaire, à la rapidité du mouvement, à la simplicité du geste (pas de mouvement inutile) et donc fait partie de l'aspect martial de la discipline » .
Le relâchement recherché en Aikido n'est donc en aucun cas de l'ordre d'une mollesse. Il possède également des composantes physiques, psychiques, relationnelles, énergétiques tout à fait positives, actives.
La puissance mobilisée en Aikido n'est donc pas d'ordre strictement musculaire. La détente, le relâchement, sont des conditions pour « débloquer » d'autres formes de puissance. Ils sont ainsi directement liés aux notions de martialité, d'efficacité.
Mais pourquoi réaliser ce « détour » vers la puissance en évitant la force physique ? Est-ce uniquement pour se prémunir de la relativité et du déclin inévitable des capacités musculaires que l'Aikido prend la peine de chercher à fonder une autre source de puissance ? Ce qui est en jeu, ici, ce n'est rien moins que la définition des finalités de notre discipline.
À quoi sert l'Aikido ?
Koichi Tohei écrivait que la « spécificité [de l'Aikido] réside dans le fait qu’il a réalisé un grand bond des arts physiques traditionnels à un art martial spirituel, d’un art martial relatif à un art absolu, des arts de combat agressifs à un art martial spirituel cherchant à abolir les conflits » . Il semble donc bien que l'Aikido accomplisse un certain idéal du Budo, et atteigne à des finalités supérieures à la simple efficacité en combat. Quelles sont ces finalités ?
« l'Aikido est Misogi », affirmait souvent O Sensei. Un grand nombre de ses élèves ont tenté d'expliciter cette idée.
En premier lieu, maître Tamura soulignait qu'elle appartenait pleinement à l'horizon de pensée japonais : « la notion de Misogi Harai est courante au japon et non pas utilisée spécifiquement par O Sensei » . Il en donnait ensuite l'explication suivante : « Elle exprime un sens de nettoyage de nos impuretés, de nos erreurs ou fautes, de nos limitations actuelles ». On remarquera que cette présentation correspond aussi parfaitement au sens du Keiko, pensé comme pétrissement, polissage.
Cette purification, ce nettoyage, est la condition de possibilité d'un accomplissement, d'une réalisation individuelle : « le but final de l'Aikido est la transformation d'un individu pour l'amener progressivement du stade de l'adolescent à celui de l'homme pris dans sa totalité. […] Notre discipline vise à la transformation individuelle, c'est à dire que la recherche personnelle a une grande importance dans l'apprentissage des techniques de combat. Petit à petit, le débutant se transforme physiquement, et cette transformation externe produit une métamorphose interne, d'ordre moral cette fois. »
On voit bien en quoi le souci de la force physique est étranger à cette ambition de réalisation personnelle. Si celle-ci passe bien par le corps, et si elle considère bien une certaine idée de la puissance, au sens du développement du Kokyu Ryoku compris comme énergie vitale, elle conduit surtout à s'intéresser à une autre idée de la force, qui peut alors être pensée comme structure, santé, volonté, caractère...
Derrière la question de la force physique, c'est aussi celle de la performance qui est soulevée. L'Aikido se présente comme une voie d'excellence – et non de performance : il n'ouvre pas à la compétition, à la comparaison, mais plutôt au développement personnel, à l'accomplissement.
Le combat, la puissance, la force physique, sont ainsi mis au service d'un accomplissement supérieur, de l'ordre de la réalisation de soi. « l'Aikido est une voie ascétique qui montre la direction de l'accomplissement de l'humanité au moyen de Ki Iku, Toku Iku, Tai Iku (formation et développement de l'essence : Ki ; de la sagesse et de la vertu : Toku ; et du corps : Taï) » .
Une voie d'accomplissement pour tous...
Affirmer que tous peuvent pratiquer l'Aikido, n'est donc pas une concession ou un acte de tolérance à l'égard des « moins aptes », des moins « forts ».
Conçu comme voie de développement, l'Aikido s'adresse réellement à tous. Bien entendu, « l'homme est multiple et il doit s'adapter à la pratique de l'Aikido selon son gabarit, son tempérament, sa personnalité » et chacun devra aborder l'étude avec la réalité de ce qu'il est, de ce qu'il peut. Certainement d'ailleurs cette adaptation fait-elle pleinement partie de la pratique elle-même. Mais la pratique des uns ne vaudra pas moins que celle des autres au sens où leurs performances (physiques, martiales, notamment) seraient inégales.
Ce sont ces particularités de l'Aikido qui le rendent accessible à toutes sortes de publics, et notamment à ceux qui s'éloignent du stéréotype du combattant dans la force de l'âge, dont les besoins et capacités doivent être approchés de façon spécifique : enfants, personnes moins en forme physiquement, handicapées, plus âgées... C'est à dire, finalement, une part non négligeable de la population.
Surtout, l'Aïkido permet aux différentes catégories de personnes de pratiquer ensemble, sans que les questions de la compétition, de la rivalité ou de la comparaison ne viennent perturber une saine étude.
...et pour toutes
Ces considérations semblent appeler une série de remarques concernant la pratique de l'Aikido par les femmes.
Il faut en effet rappeler que celles-ci ne représentent pas réellement « un public » particulier. Elles représentent la moitié de l'humanité, et ne semblent pas pouvoir être caractérisées par l'unité de besoins ou de capacités spécifiques. Bien au contraire, elles appartiennent à toutes les autres catégories (les adultes, les enfants, les personnes moins en forme physiquement, handicapées, plus âgées...).
Dire que les femmes, aussi bien que les hommes, peuvent pratiquer l'Aikido, c'est affirmer qu'elles peuvent, aussi bien qu'eux, chercher à atteindre un relâchement réel, à développer Kokyu Ryoku ; qu'elles peuvent chercher à réaliser Misogi, une purification, synonyme d'élévation personnelle ; qu'elles peuvent poursuivre Ki Iku, Toku Iku, Tai Iku, le développement et le perfectionnement de leur vitalité, de leur sagesse et de leur vertu, de leur corps.
À ce titre, les femmes constituent tout simplement des pratiquants comme les autres, et leur approche de l'Aikido ne saurait s'épuiser dans des considérations relatives à la force physique.
Certainement est-ce la raison pour laquelle des femmes ont toujours pratiqué l'Aikido, y compris dans ses toutes premières heures, dans le contexte d'un Japon encore peu habitué à une mixité remettant en question les rôles sociaux traditionnels. Mesdames Kazuko Sekiguchi et Takako Kunigoshi ont ainsi suivi l'enseignement d'O Sensei dès 1931. Plus tard, ce sont d'autres pratiquantes qui suivront l'enseignement de l'Aïkikaï. Parmi elles, Mesdames Fukiko Sunadomari, Fumiko Kobayashi, Mariye Takahashi et, bien entendu, la jeune Rumiko, future Madame Tamura.
Evacuer ainsi la question de la comparaison des musculatures respectives des hommes et des femmes sur le Tatami permet d'ailleurs à tous d'éviter de sombrer dans des stéréotypes éculés – ce qui relève peut-être déjà d'un certain Misogi... On prendra garde, également, à ne pas inverser les stéréotypes pour verser dans un sexisme vaguement « positif », qui voudrait que les femmes, « moins fortes physiquement », seraient « plus douées techniquement ».
Peut-être l'Aikido peut-il ainsi apporter beaucoup à notre société sur la question des égalités. Par son approche spécifique, non compétitive, l'Aikido favorise en effet la mixité et permet de dépasser les stéréotypes de genre (infligés ou subis). Il acquiert ainsi une valeur éducative importante et favorise le développement de la personnalité et l'épanouissement de chacun, vecteur d'une égalité réelle.
La promotion de la pratique de l'Aikido par les femmes constitue certainement l'une des pistes de développement de notre discipline, et d'ouverture à un public plus large. En cela, il faut bien entendu, se garder de confondre promotion de la pratique de l'Aikido par les femmes et développement d'un Aikido spécifiquement féminin, qui constituerait un contresens total.
Certainement cette promotion dépend-elle d'une meilleure connaissance et compréhension des finalités de notre discipline, et impose-t-elle qu'un travail soit effectué en direction du grand public, mais peut-être, aussi, des responsables et enseignants de clubs, premier acteurs de cette communication. À ce titre, il semble important que chacun puisse s'approprier la question de la place de la force en Aikido.
Le travail en Gono Geïko, maître Tamura nous disait, cela sert à construire une technique juste et à comprendre qu’il ne faut pas mettre de force, mais travailler souple, modeler la structure, y mettre Vie. Il faudra ensuite se libérer de la forme. Nous devenons vulnérables dès que la pensée s’attache à vaincre, impressionner ou maitriser l’adversaire.
Lors d’une conférence, maître Morihei Ueshiba, disait « le Budô n’a pas pour objet de vaincre un adversaire par la force ou par la ruse. Le Budô authentique ne cherche qu’à sauvegarder la paix dans le monde à modeler la nature tout en préservant son identité ». Il parlait de la force de procréation.
Grâce à l’observation de la nature et celle de mes différents maîtres à penser, j’essaye de construire mes cours en y prenant la force, la puissance du plaisir de comprendre, progresser et partager.
L’aïkido peut être physique, dynamique et efficace, j’ai eu la chance de voir diverses expressions en France et lors de mes voyages avec les maîtres Nobuyoshi TAMURA, Kisshomaru et Moriteru UESHIBA, Kazuo CHIBA, Yoshimitsu YAMADA, Koichi TOHEI, Seigo YAMAGUCHI, Sadateru ARIKAWA, Morihiro SAITO, Seeichi SUGANO, kanshu SUNADOMARI.
Force et coté Yang de la discipline. Intensité, expression du KI, Kokyu Ryoku…
La transmission des Forces et valeurs spirituelles des arts martiaux traditionnels est un chemin de toute une vie.
Cette année il a fait très chaud. Parfois je m’installe derrière la maison à l’ombre du grand tilleul. Et je m’inspire de son histoire. Il est plus que centenaire…Chaque année je lui enlève quelques branches pour mes tisanes d’hiver et m’émerveille de sa force tranquille. Il m’inspire pour démarrer mes cours d’Aïkitaiso. C’est un arbre qui plonge ses racines très profondément, il a résisté aux violents orages qui ont déraciné les peupliers, sapins …. La nature lui casse quelques branches mortes, élagage naturel. Je l’écoute et évite le coin des branches cassées les jours de vents. Sa force vient de la profondeur de ses racines et de son parfum.
En regardant le dictionnaire français japonais, je demanderai bien à Pascal Krieger de calligraphier pour mieux comprendre cette force et voir si ma pensée rejoint la pensée des calligraphes …
CHIKARA forcer, imposer
SHINRIKI le pouvoir divin oui avec la racine
TSUYO avec peut être idée de puissance énergie efficacité
Y a-t-il violence ? Compétence, résistance, corpulence, maturité …
Corine MASSON PAYEUR
Shihan, CEN FFAB, 6e dan
Site internet
Article paru dans le magazine DRAGON spécial AÏKIDO n° 26 - Octobre 2019